jeudi 2 mai 2013

Petit oiseau a pris sa volée.



Il grandit, l'ange de quatorze mois qui nous est arrivé un midi de fin d'hiver. Il comprend "va chercher tes chaussures", sait où les trouver, et fait le geste de les mettre. D'ailleurs, quand il veut sortir, il va les chercher dans le placard et tente de les enfiler. Il comprend "montre-moi la balle", ou "il est où ton doudou ?". Se paye allègrement ma tête en refusant son biberon du matin et en le donnant à son ours en peluche. Se débat comme un diable quand il s'agit de lui pschitter son nez bouché, au point que, seule, il n'est plus question pour moi de le maîtriser - d'ailleurs, la nounou a renoncé, m'a-t-elle dit ce matin. 

Il hurle quand on lui retire un objet manifestement dangereux pour lui mais qui a l'air super marrant. Il grimpe sur le canapé, descend, remonte, bondit, tente de ruser pour attraper l'ordinateur ou la DS. Ouvre un tiroir de cuisine, le vide et grimpe dedans comme il adore se planquer dans les cartons de couches vides dont il ne sort, finalement, qu'en valdinguant par terre, secoué de rire, entre paquets de coton, couches, habits, jouets. Il ne me dit qu'à peine au-revoir quand je le laisse à la nourrice le matin, trop pressé d'aller faire les quatre cent coups avec son copain de trois ans. 

Si grand, et si petit. Lui qui se réveille à quatre heures du matin, non plus pour hurler de faim, mais pour une raison plus floue. Je me lève en tâtonnant, le prend dans mes bras et lui dis doucement que ce n'est pas l'heure de se réveiller, qu'il faut encore faire dodo. Il est déjà rendormi dans mes bras, mâchouillant ce doudou à l'odeur redoutable malgré un lavage au moins hebdomadaire, sa petite tête reposant dans mon cou, chatouillé par ses florissantes boucles brunes. 

Si grand, et si petit. Au fur et à mesure qu'il grandit, mes peurs augmentent. La première chose à laquelle j'ai pensé quand je l'ai eu dans mes bras, c'est que j'étais fichue : plus une seconde de ma vie n'allait s'écouler sans que je ne craigne pour lui. Je crains la mort subite du nourrisson, oui, encore - quand je me réveille la nuit pour boire un coup dans la salle de bains, je vérifie par l'entrebaillement de la porte encore s'il respire. Je   crains la maladie. Je crains la mort, l'enlèvement. Je me retourne parfois des heures dans mon lit à l'idée qu'un type entre dans le jardin d'enfants et le subtilise sous les yeux de la nounou. Je pleure de rage quand il s'étale de tout son long sur le carrelage parce qu'il s'est pris les pieds dans l'anse de mon sac pas rangé. Je vérifie douze fois, le soir, que la porte d'entrée est bien fermée, et je me réveille la nuit, hantée par l'idée qu'un cambrioleur qui arriverait à l'étage par l'escalier tomberait d'abord sur sa chambre avant d'atteindre la nôtre. Je soupire de soulagement le soir quand je le retrouve après sa journée chez la nourrice, et en bonne santé le matin. Que ma mère me propose de le prendre une semaine cet été avec son cousin du même âge, je refuse tout net. Hors de question, c'est mon fils. 

Et pourtant, je ne saurais rien lui dire d'autre que "Va, vis et deviens".