mardi 14 avril 2009

Le XVIIe siècle en film. 1. Les trois mousquetaires, de R. Lester (1973).


Voilà longtemps que j'ai envie d'inaugurer une série de "critique ciné" à ma façon, consacrée à des films représentant le XVIIe siècle. À tout seigneur tout honneur, je commence par un des films fétiches de Chéri, qui m'a donné le virus. Je suis nulle en critique ciné, mon but n'est pas de singer les Cahiers du cinéma, mais de montrer les évolutions du XVIIe siècle dans le "septième art", comme on dit. Et il y a matière à rigoler.

À partir de 1973, Richard Lester, cinéaste peu prolifique, réalise trois films dont l'intrigue est tirée des romans de Dumas. Les deux premiers, Les Trois mousquetaires et On l'appelait Milady, correspondent aux Trois mousquetaires de Dumas : le premier volet consacré à l'affaire des ferrets de la Reine, le second à la vengeance puis à la chute de Milady. Le troisième, Le retour des Mousquetaires, s'inspire de loin de Vingt Ans Après. Il est du reste plus dispensable, et j'en parlerai peu.

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Le film était destiné à attirer par la palette de stars qu'il réunissait. Charlton Heston, Raquel Welch, Jean-Pierre Cassel, Faye Dunaway, Olivier Reed, Geraldine Chaplin, Georges Wilson, bref, que du bon. Ils sont tous là >>>. Les costumes rappellent vaguement les photos du théâtre français des années 1950, comme on avait dans nos éditions de Molière, au collège : XVIIe un peu toc, mais plutôt bien imité. Un peu vieilli : on fait bien évidemment mieux aujourd'hui, surtout quand on va tourner à Versailles où à Vaux-le-Vicomte. Là, les mousquetaires évoluent entre studios et plateaux de tournage en Espagne, ce qui donne des éléments pittoresques, comme par exemple lorsque les mousquetaires sont censés aller de Saint-Germain en Laye jusqu'en Angleterre chez Buckingham : Lester les filme cavalant dans le désert. Or j'ai beau avoir regardé ma carte de France et révisé l'Histoire du Climat de Le Roy Ladurie : au XVIIe siècle comme aujourd'hui, entre l'Ile de France et l'Angleterre, y'a pas de désert.

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Passons aussi sur la scène finale de On l'appelait Milady, supposée se passer dans un couvent proche de Béthune, où Milady réussit à assassiner Constance Bonacieux : le couvent de Béthune devient un somptueux couvent baroque en pleine Castille. Magnifique au demeurant, mais Béthune, c'est quand même plus verdoyant que la sierra. Bref.

On peut également s'amuser à relever un Louis XIII caricatural de nullité, incarné à la perfection par Jean-Pierre Cassel, et rire devant la médiocrité de la technique de la nuit américaine, mais que voulez-vous. De même, la furieuse tendance de la caméra à vouloir absolument faire entrer les quatre amis dans le même plan, finit par lasser. Mais le carton-pâte et le cliché, quand c'est bien fait, on peut aussi trouver ça bien.

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Une partie d'échecs de taille... royale !

Le film entier est une carte postale sur laquelle les acteurs se déchaînent. Tout y est un plaisant cliché : les soldats du cardinal sont balafrés et ont l'air méchant (mais alors très très méchant), les gentils sont très très gentils. Tantôt burlesque (scène où les mousquetaires subtilisent leur nourriture dans une auberge en simulant une bagarre), tantôt très émouvant.

On fera honneur à la prestation de Charlton Heston, somptueux cardinal de Richelieu, courbé par les ans mais majestueux, l'oeil vif, le sourire carnassier. On n'en dira du reste pas autant de Philippe Noiret en cardinal Mazarin, qui a l'air de s'ennuyer au-delà de l'entendement dans le troisième volet. Richelieu apparaît comme un redoutable politique, mais qui sait aussi perdre pour sauver la face et les intérêts du roi. Un méchant, mais surtout un très grand homme. Et puis Charlton Heston, quoi.

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Les mousquetaires sont tous très réussis : Michael York en d'Artagnan a l'air couillon et provincial, ce qu'est le personnage. Donc, c'est parfait

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D'Artagnan découvre sa piaule chez Bonacieux...
en fait, plus précisément, il vient d'apercevoir madame Bonacieux...

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Ah bah oui, hein, quand je dis l'air couillon, j'ai mes raisons... mais le personnage est couillon !
C'est de loin le moins subtil des mousquetaires, à mon avis.

Olivier Reed, grande prestance et triste oeil bleu, est un Athos abimé par la vie mais portant haut son honneur. Aramis est beau, très beau, sourire charmeur et oeillades en cascade, jouant à merveille sa qualité de "mousquetaire par intérim", en attendant d'être prêtre. Richard Chamberlain rend à merveille les ambiguités du personnage, qui n'est pas le dévot bigot mais contrarié qu'on en fait souvent : au contraire, c'est plutôt un libertin à la manière de Cyrano de Bergerac, un noble personnage hésitant entre la vie de noble et les aménités qu'elle apporte, et ses aspirations spirituelles. Le personnage de Porthos, incarné par Frank Finlay, est également rendu avec une gande finesse : ce n'est pas l'espèce de bourrin "gros dur au coeur tendre" qu'on voit souvent, mais également un noble personnage, un peu rude certes, mais surtout abimé comme les autres par les déceptions de la vie militaire, qui permet parfois de s'illustrer, mais surtout de souffrir pour le service d'un roi pas toujours très reconnaissant.

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Les scènes militaires sont également remarquables : pas sanglantes (le soldat Ryan, c'est plus tard), superbes, juste assez grandiloquentes : pour le siège de La Rochelle, il faut bien un peu en rajouter, sinon c'est pas la peine. Mais également très mélancoliques : tant d'efforts héroïques, si peu récompensés...

Les femmes ne sont pas en reste. Raquel Welch est quelque peu sous-employée mais elle joue à merveille Constance Bonacieux, un peu cruche, dépassée par les événements. Dommage que son mari soit joué sur le mode de l'imbécile à moitié sénile, du reste. Mais bon, Raquel Welch est splendide, et sa poitrine aussi, ce qui est confirmé par les regards éloquents qu'y jette d'Artagnan.

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Geraldine Chaplin est remarquable de dignité (sauf dans le troisième volet).

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Et Faye Dunaway en Milady... Eh bien, elle est géniale de machiavélisme tout en retenue. Elle rend aussi parfaitement l'injustice profonde du sort de Milady, qui devient diabolique parce que les hommes l'y poussent : condamnée pour une broutille, elle devient paria, intouchable, condamnée une deuxième fois par Athos puis par tous les autres : quand on y réfléchit deux secondes, elle se bat avec les mêmes armes que ceux qui l'ont déjà détruite. Dumas, premier féministe ? Je l'ignore. Mais quand on relit le bouquin, la question du personnage de Milady est bien plus complexe qu'il y paraît quand on a dix ans et qu'on découvre Dumas.

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Quoi qu'il en soit, les acteurs principaux sont tous excellents et d'une remarquable finesse : on n'en dira pas autant des caricatures de Trois mousquetaires qui ont pu être faites en France au même moment. À la fois glamour (ah, Simon Ward en duc de Buckingham, quel beau gosse !), drôle (ah, la baston finale, d'Artagnan escaladant un lierre et Planchet déguisé en ours), plein d'entrain (cavalcades et duels sont au rendez-vous, tchaf, tchaf !), les deux premiers opus sont très réussis.

Le troisième, vous l'aurez compris, est plus dispensable : outre un scénario en roue libre, la suppression du personnage de Mordaunt au profit d'une jeune femme qui serait la fille de Milady et de Rochefort, incarnée par Kim Cattrall (aujourd'hui Samantha dans Sex and the City, o tempora, o mores), aurait pu être une bonne idée, mais n'est qu'un prétexte à montrer des poitrines gonflées sous le pourpoint... bof, au bout d'un moment, c'est lassant. Les acteurs sont vaguement vieillis (en gros, on leur blanchit la moustache) et deviennent patauds. Même les scènes de duel deviennent ennuyeuses, un comble.

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Quelques éléments bien trouvés cependant : une maison regorgeant de pièges et de mécanismes secrets actionnés par des nains, un duel sur un lac gelé, un envol en mongolfière... mais plus aucune finesse. Dommage. On notera que l'ambiance du tournage fut du reste réellement plombée par la mort de l'acteur incarnant Planchet, d'une chute de cheval pendant une cascade.

Bilan :

Une série de films remarquablement intelligents dans la compréhension de la finesse des personnages de Dumas, malgré la lourdeur du dernier opus. Une belle fable sur l'honneur, émouvante et digne. Je pense notamment à cette réplique marquante d'Aramis, à la fois noble et désabusée : quand, à la guerre, le roi dit "Battez-vous", on se bat. Alors allons nous faire tuer là où on nous dit d'aller, la vie vaut-elle de faire tant de question ?". Malgré le côté carton-pâte parfois outrageant et vieilli, un XVIIe siècle dont la pacotille n'est qu'apparente.

J'insisterai notamment sur la représentation des mousquetaires, ces nobles personnages prêts à se faire tuer pour un roi ou une reine, sans que cela soit toujours reconnu : après tout, les mousquetaires sont à peine remerciés par la reine pour l'affaire des ferrets, et l'héroïsme de La Rochelle restera inconnu du roi. Le drame de d'Artagnan - la mort de Constance - est purement gratuit, injuste. Ces hommes ont tout à perdre et pas grand-chose à gagner. Quelques années après la mort de Louis XIII (dont je déplore la caricature dans ce film, où il paraît vraiment débile, ce qu'il n'était pas, et incapable, alors qu'il fut un chef de guerre remarquable), ces mêmes hommes se révolteront et se déchireront : on se rappelle qu'Athos et Aramis choisissent le parti de la Fronde, tandis que d'Artagnan et Porthos choisiront sans vraiment savoir pourquoi, le parti du roi, mais plus par intérêt que par conviction.

La grande intelligence de ce film, justement, est de mêler le burlesque au romanesque : les gages renforcent l'absurdité des vies de ces mousquetaires, chevaliers à la triste figure autant que Cid campeador. Baroques, sublimes et profondéments humains.

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